Au-delà d’un traitement médiatique parfois catastrophique et/ou insultant, du mégenrage ou de la mise en débat de l’existence même des personnes trans et de leurs droits, force est de constater une obsession de certains médias grand public sur les transidentités. Entre curiosité malsaine, voyeurisme et volonté de pointer les personnes trans et leurs revendications comme bouc émissaire d’un « climat de terreur intellectuelle », on peut percevoir une préoccupation grandissante de la part des journalistes et éditorialistes envers ces questions.

Il suffit de regarder, sur le nombre d’articles étudiés, combien utilisent le mot « trans » ou « transgenre » dans le titre ou le contenu d’un papier sans que les transidentités ou les thématiques LGBTQ+ soient le sujet même de l’article. Selon notre étude, sur 434 articles étudiés, seulement 22,5 % ont pour sujet principal les transidentités. On peut ainsi constater que les médias qui mentionnent le plus les transidentités ne le font pas pour parler des transidentités elles-mêmes : on retrouve ce type d’articles dans Le Figaro (dont 50 articles sur 70 qui mentionnent les transidentités ne portent pas sur les transidentités); Le Point (20 articles sur 24); Marianne (9 sur 12) ou encore L’Express (11 sur 20 articles). Ces quelques médias multiplient notamment des articles traitant des transidentités à l’étranger, comme pour montrer que le « phénomène » serait présent partout sur le globe, alertant sur une « épidémie » transgenre ou une « contagion sociale » : de tels procédés nourrissent les argumentaires transphobes. A contrario, le terme « transphobe » est utilisé comme une attaque voire une injure, concernant l’autrice J.K Rowling notamment : on a beaucoup évoqué l’argumentaire de la « cancel culture » concernant l’autrice d’Harry Potter. 

Une actualité prétexte aux conservatismes

Notre veille médiatique commence à la mi-août 2022, au moment de l’emballement médiatique autour de l’affiche représentant un homme enceint pour Le Planning Familial. Sur les 435 articles étudiés, 30 parlent directement de cette affaire : une majorité provient d’une seule et même dépêche AFP, reprise dans différents médias. Les autres sont souvent des tribunes, chroniques ou éditos : notamment la tribune « Mme Élisabeth Borne, féministes, nous nous inquiétons de ce que devient le Planning familial » de Marguerite Stern et Dora Moutot, publiée dans Marianne le 22 août 2022, alors qu’une campagne de cyberharcèlement s’abattait sur les réseaux sociaux à l’encontre du dessinateur de l’affiche. Sur cette polémique autour du Planning Familial, Le Figaro a publié 4 articles, L’Express 3 articles, Le Point 2 articles, Marianne 3 articles également : à eux seuls, ces quatre médias ont écrit 40% des articles sur le sujet, sur une vingtaine de médias étudiés. Cette affaire a été le prétexte, pour certains médias conservateurs, à la création d’un sujet médiatique, destiné à diaboliser et créer une panique morale autour des personnes trans et de leurs droits. En clair, la façon de traiter des transidentités est un marqueur de positionnement politique : pour la presse conservatrice, il s’agit de dénoncer les dérives supposées que représente la visibilisation des personnes trans et de leurs droits.

« Panique morale » ?

Le terme de panique morale, que nous utilisons au long de cette étude, a été forgé par le sociologue américain Stanley Cohen, qu’il définit comme se produisant quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ». Plus longuement, le sociologue détaille le rôle des médias, des entités politiques et religieuses dans ce phénomène : « Sa nature est présentée de façon simplifiée et stéréotypée par les médias de masse ; rédacteurs en chef, évêques, politiciens et autres bien-pensants érigent des barricades morales ; des experts socialement accrédités y vont de leur diagnostic et de leurs solutions ; on invente des moyens de faire face, ou l’on recourt (plus souvent) à ceux qui existent ; la situation s’efface alors, disparaît, est submergée ou se dégrade et devient plus apparente ». Selon cette définition, les médias entretiennent les paniques morales et les nourrissent de paroles « expertes ».

Cette instrumentalisation des transidentités est le fait de quelques médias conservateurs : Le Figaro, Le Point, Marianne et L’Express. Le nombre de leurs productions autour des transidentités dépasse celles des autres médias étudiés : Le Figaro compte ainsi 70 articles dans notre étude, Le Point en compte 24… contre 4 pour L’Équipe ou 9 pour CNews. Si d’autres médias ont aussi beaucoup produit autour des transidentités (43 pour Libération, 34 pour Le Monde ou 32 pour le HuffPost), on remarque dans ces quelques médias conservateurs une volonté d’alerter l’opinion publique sur leur supposée dangerosité. Les médias en question multiplient les articles, interviews, éditos sur les stéréotypes de genre, l’identité de genre, la non-binarité… Les personnes trans et leurs revendications semblent être devenues une cible facile et évidente, un symptôme des dysfonctionnements d’une société au bord de l’effondrement, sous couvert d’arguments déterministes et essentialistes.

Des figures anti-trans régulièrement interviewées

Il y a également une solide différence entre la part de personnes concernées interviewées dans les médias et le nombre de personnes aux discours et positions transphobes qui ont la parole au sein des articles étudiés. Sur l’ensemble des articles étudiés, seuls 20,9% interviewent au moins une personne trans ; tandis que 34,7% font référence à au moins une personne employant une rhétorique anti-trans. Parmi les médias étudiés, Le Figaro est celui qui compte le plus d’articles interrogeant au moins une personne ouvertement transphobe : 25 articles sur 70, soit 35,7%. Marianne et Le Point comptent eux aussi une majorité d’articles laissant la parole à au moins une personne ouvertement transphobe.

Parmi les personnalités aux rhétoriques anti-trans qui ont la parole dans les productions médiatiques, on retrouve régulièrement les mêmes noms : celui des militantes « femellistes » (mouvement de « critiques du genre » qui veulent se détacher d’un féminisme inclusif des personnes trans, et qui regroupe des TERF) Dora Moutot et Marguerite Stern ; la psychanalyste Céline Masson et la pédopsychiatre Caroline Eliacheff, autrices de La Fabrique de l’enfant transgenre ; L’Observatoire de la Petite Sirène, collectif qui vise à interdire les transitions aux mineurs (dont font partie Céline Masson et Caroline Eliacheff). En plus de ces personnalités, on retrouve des personnalités phares de la droite et de l’extrême-droite qui s’en prennent aux droits LGBTI dans leur globalité, dont le président de Reconquête, Eric Zemmour.

De la même manière que, lors des débats sur la PMA, on ne retrouvait pas ou peu de couples lesbiens dans les médias (ce qu’avait montré l’AJL dans une étude de 2020), les articles sur les transidentités se font sans les personnes trans, comme si leur parole était facultative voire biaisée.

Diabolisation, Le Figaro en première ligne

Un média particulièrement a multiplié les articles injuriants et sensationnalistes, durant les quelques mois de notre étude : Le Figaro, à travers notamment Le Figaro Vox, centré sur les « Débats, opinions, controverses » comme l’indique clairement leur site. Ce dernier est une vitrine pour les discours transphobes, souvent par l’intermédiaire de tribunes ou d’éditos de journalistes ou de personnalités publiques. Sous couvert de « débats » et d’« opinions », Le Figaro verse dans des propos sensationnalistes voire haineux.

Ainsi, on retrouve par exemple un article édifiant du Figaro, intitulé « Controverse au Canada autour d’un enseignant transgenre arborant une poitrine extravagante », dont les principales sources sont des médias conservateurs canadiens et américains dont le très controversé True North. Après quelques recherches, on retrouve seulement cette actualité sur d’autres sites conservateurs et blogs d’extrême-droite.

Plusieurs fois, le terme « transexuel » est utilisé en titre, alors même que ce terme médical n’est plus utilisé depuis des décennies car pathologisant. Dans la formulation des articles également, on constate une peur et une défiance vis-à-vis des personnes trans, faisant planer l’ombre d’un pseudo-grand remplacement à la sauce LGBT. L’article « Quand des transsexuels veulent l’effacement de la femme » publié dans Le Figaro est l’exemple de cette volonté d’ostracisation des personnes trans et d’une diabolisation sans base réelle.

Les femmes cis et les enfants instrumentalisés

Cette défiance se conjugue à une volonté d’opposer les femmes trans et les femmes cisgenres pour démontrer un pseudo effacement des femmes cisgenres au sein des mouvements féministes (comme dans l’article du Figaro ci-dessus) : dans les 434 articles étudiés, 57 distillent cet argument d’une opposition entre femmes trans et femmes cisgenres, soit 13,1% des articles étudiés

Le Figaro, Marianne et L’Express sont les médias dont le plus d’articles tombent dans la case « mauvais traitement » de notre étude : 57% des articles du Figaro, 58% de ceux de Marianne et 60% de ceux de L’Express tombent dans cette catégorie.

Certains médias concentrent leur attention autour d’un sujet principal, qui rappelle des arguments mobilisés pendant les débats autour du mariage pour tous : la protection des mineurs et des enfants. Si sur l’ensemble des articles étudiés, seuls 72 évoquent cet argument, on le retrouve dans 21 articles du Figaro sous différents aspects. Ces arguments sont également mobilisés en dehors de la sphère médiatique classique par un ensemble de livres (La Fabrique de l’enfant transgenre, de Céline Masson et Caroline Eliacheff) et de documentaires (« Trans, uniques en leur genre », sur M6 ou encore « Trans : la confusion des genres », du média d’extrême-droite Omerta). Ces productions visent à montrer que désormais, les parcours de transition seraient facilités pour les mineurs, et que la transition serait un « effet de mode » encouragé sur les réseaux sociaux (théorie souvent reprise par l’extrême-droite, comme chez la militante Thaïs d’Escufon). Un argument largement démenti par nombre de spécialistes, mais qui fait planer, du côté des médias conservateurs, la peur d’une « épidémie » transgenre qui affecterait en premier lieu les plus jeunes.

Un récit alarmiste pour un traitement catastrophique

Cette panique morale autour des transidentités passe par l’utilisation d’un vocabulaire et champ lexical principalement sensationnaliste et alarmiste. Des éléments de langage souvent empruntés à l’extrême droite et aux militant·e·s antitrans. 

Collage de titres d'articles qui mentionnent le wokisme.

Les mots choisis pour traiter des transidentités pèsent lourd dans la construction d’un récit alarmiste et discriminant envers les personnes transgenres, et ce, dès le titre. « Fracture(s) », « peur », « endoctriner les enfants », « imposer son genre », « climat de terreur intellectuelle », « religion woke », « école prise en tenaille » : empruntant à un lexique catastrophiste, les journalistes versent dans le sensationnalisme.

« Wokisme » ?

Le terme « wokisme », que l’on retrouve dans les articles de la presse retenus dans notre étude, est dérivé de la notion « woke », qui se traduirait en français comme « réveillé·e » ou « en éveil ». Utilisée à l’origine par les personnes afro-américaines pour exprimer une prise de conscience des discriminations subies et, par conséquent, la nécessité de se mobiliser, cette revendication s’est élargie à d’autres cercles militants par la suite, tout en restant très liée au mouvement Black Lives Matter.

Récupérée par la droite et l’extrême droite, la notion s’est ensuite vue détournée vers un usage majoritairement péjoratif et dénigrant. Le « wokisme » est désigné par l’historien des idées François Cusset comme « un fantasme de la droite réactionnaire, qui ne recoupe rien de cohérent et d’unitaire. » C’est d’ailleurs selon lui, un moyen d’orienter et d’occulter une partie du débat : « Certains y voient une menace pour la civilisation et pour nos valeurs, mais ce que je ne comprends pas, c’est que la violence est en face, et c’est de cela dont il faut discuter : les minorités en question sont d’abord les cibles de la violence (féminicide, racisme systémique, guerre, rapports nord-sud…). »

Une tendance à user d’une rhétorique complotiste peut également être observée dans plusieurs médias. « Mineurs “trans” : “Nous demandons une enquête indépendante sur les traitements médicaux” » (L’Express), « Homme “enceint” : On est taxé de “transphobe” quand on n’adhère pas au wokisme » (Le Point) ou encore « Wokisme: comment la théorie du genre a infiltré les écoles et l’éducation nationale ? » (Le Figaro). Au-delà du climat de panique morale instauré par ces titres, ceux-ci et les articles associés s’éloignent de toute éthique et déontologie journalistiques. Où sont les faits sourcés et vérifiés et le respect de la dignité des personnes ? 

La tribune « Ce dont la presse ne parle pas de peur d’être accusée de transphobie » publiée par Marianne en est un bon exemple. Ce court texte écrit par le philosophe Dany-Robert Dufour aborde le sujet de la clinique Tavistock, institution britannique qui héberge un centre spécialisé dans l’accompagnement de personnes mineures souffrant de dysphorie de genre. Avec l’annonce de la fermeture prochaine de ce centre au printemps 2023, des discours transphobes se sont multipliés dans les médias. Cette tribune n’y fait pas exception, puisque le vocabulaire utilisé traduit une position ouvertement transphobe et une méconnaissance profonde du sujet des transidentités : « identité sexuée », « demande de transformation », « sujet sociétal délicat », « sexe “ressenti” ». Ces termes irrespectueux et discriminants envers les personnes transgenres se doublent d’expressions aux accents complotistes : « ça [“la transidentité et sa prise en charge médicale“] pourrait bientôt traverser la Manche », « cette clinique s’est convertie », « les parents ont assiégé la clinique », « diktats des activistes ».

« Propagande transgenre » et marottes de l’extrême droite

Ce problème ne se retrouve pas seulement dans les tribunes, mais également dans des articles signés par des journalistes. Illustration d’un manque de professionnalisme dans le traitement de ces sujets, l’utilisation récurrente du terme « transsexuel », la mention de l’ancien prénom (deadname) et le mégenrage. Tout comme les nombreuses confusions : on entend ainsi parler de « sexualité transgenre », de « pseudo-hermaphrodite » ou d’« hommes en robe » dans Le Figaro. Difficile de parler ici d’erreurs de bonne foi. 

Par ailleurs, la reprise d’expressions transphobes utilisées par l’extrême droite et par les militant·e·s anti-trans, sans les contextualiser comme telles ou utiliser de guillemets, interroge. Et n’est pas sans rappeler la reprise de l’argumentaire de La Manif pour tous par les médias, il y a dix ans. « Propagande transgenre », « idéologie transactiviste », « foudres de la communauté trans ». Mais aussi et surtout une tendance à voir le « wokisme » partout et  décliné à toutes les sauces : « rhétorique », « mouvement » voire « religion woke », notamment comme une menace qui pèserait sur l’école. On retrouve également des parallèles douteux entre transidentités et port du voile, autre marotte de l’extrême droite, notamment dans des articles qui insistent sur les « fractures » du féminisme et du Planning familial.

L’utilisation d’un vocabulaire spécifique dans les médias conservateurs participe donc activement et de façon consciente et assumée à la panique morale actuelle sur les transidentités. Mais il n’y a pas que le lexique qui compte : le format des articles joue un rôle tout aussi important dans la construction d’un narratif transphobe.

Dépêches AFP, entre paresse et conservatisme

Enfin, la ligne des articles étudiés dépend également en grande partie de leur format. Sur l’ensemble des 434 productions du corpus, deux formats se distinguent ainsi. En premier lieu les reprises de dépêches AFP, représentant 102 articles, ainsi que les tribunes, chroniques et éditos qui sont au nombre de 38 (23 tribunes, 11 chroniques et 4 éditos). Et selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre, les lignes éditoriales diffèrent énormément, quand elles ne sont pas totalement opposées.

Comme mentionné dans la deuxième partie de cette étude, sur 102 adaptations de dépêches AFP, 78 offrent un traitement des transidentités de « bonne qualité », soit plus de 76%, contre seulement 4 dépêches qui en proposent un traitement de très mauvaise qualité. Sur les 241 articles, tous médias confondus, présentant un traitement médiatique des transidentités de « bonne qualité », 32,4% sont par ailleurs des dépêches AFP.

Il est en outre intéressant de noter que les quatre médias présentant le plus d’articles de « mauvaise qualité » sur le sujet – 50% pour le JDD, 57% pour Le Figaro, 58% pour Marianne et 60% pour L’Express – font pour certains partie de ceux qui reprennent le moins de dépêches AFP. 

Le JDD, Le Figaro et Marianne font ainsi partie des 10 médias comptant le moins de publications de ce format (respectivement 8,3% de dépêches sur le JDD, 14,3% sur Le Figaro et 16,7% sur Marianne). L’Express se démarque avec 35% d’adaptations de dépêches, ce qui peut laisser penser que le traitement des transidentités par ce média est en réalité encore pire que ce qui ressort de nos statistiques, les dépêches réhaussant le niveau global de ce site.

Dans un certain nombre de publications, le traitement respectueux des transidentités passe ainsi essentiellement par des dépêches AFP. L’agence de presse devient une sorte de caution, permettant de mettre en avant cette thématique en faisant preuve du moindre effort, bien que de nombreuses dépêches soient complétées par les médias. Une observation à double tranchant. Si le format dépêche devient ainsi un gage de qualité, et qu’il convient ici de louer le travail effectué par l’agence sur le sujet, l’utilisation excessive de ce format par certains médias – 46,15% pour BFMTV, 50% pour Le Point et 55,56% pour Europe 1 – illustre également une paresse et un manque d’information de certaines rédactions sur la transidentité. Sans ce « bâtonnage » de dépêches, nul doute que les personnes trans seraient ainsi encore plus invisibilisées dans les médias qu’elles ne le sont déjà.

Un autre point saillant ressort de notre étude : trois quarts des dépêches AFP mentionnent les transidentités dans d’autres pays que la France : 79 sur 102, soit plus de 77%. Sur la totalité des articles abordant la transidentité à l’étranger – tout de même 190 sur 434 –  61% offrent un traitement respectueux des transidentités. 

Là encore, le nombre de productions évoquant les transidentités à l’étranger illustre une forme de désintérêt des médias lorsqu’il s’agit d’aborder ces questions en France. Souvent, celles-ci ne semblent abordées que quand elles sont éloignées de nos réalités, alors que les sujets ne manquent pas dans notre pays. Cela démontre une sorte d’incapacité quand il s’agit d’y consacrer un travail journalistique de qualité, due à la fois à un manque de connaissances sur cette thématique et à la frilosité (au mieux) ou à une fainéantise (au pire) de certains médias. La base de l’activité journalistique, qui consiste à informer sur des sujets d’intérêt public et général, est souvent vite oubliée quand cela concerne les transidentités. Certaines actualités sont ainsi totalement passées entre les mailles des médias étudiés, comme la volonté d’Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, d’exclure les hommes trans de la constitutionnalisation de l’IVG.

Cette prédominance des sujets à l’étranger nourrit par ailleurs des clichés déjà bien éculés sur l’exotisme et la fétichisation des personnes trans, laissant penser non seulement que celles-ci proviennent forcément d’autres pays, mais également qu’une « globalisation » du « phénomène trans » serait en marche, prête à nous envahir. Or les personnes trans existent déjà depuis bien longtemps en France, et méritent un traitement médiatique à part entière, et autrement plus sérieux.

Tribunes partout, nuances nulle part

Le deuxième format qui se distingue particulièrement a été classé dans notre panel sous les appellations « tribune » et « chronique », représentant 38 articles (23 tribunes, 11 chroniques et 4 éditos), soit 8,7% des publications. Sur les 23 tribunes, nous en avons répertorié 14 pour lesquelles le traitement des transidentités est de « mauvaise qualité », et 9 de « bonne qualité / à améliorer ». Comparée à l’ensemble des formats d’articles, la proportion de contenus « à améliorer » et de « mauvaise qualité » est plus élevée dans les tribunes – 65,2% contre 44,2% pour les autres formats. Même constat en ce qui concerne les billets et chroniques – que l’on différencie des tribunes car rédigées le plus souvent par des journalistes internes aux rédactions -, puisqu’on en relève une seule de « bonne qualité », contre 10 dont le traitement est de « mauvaise qualité ».

Nous notons par ailleurs que les médias qui usent – et parfois abusent – de ce format sont parallèlement souvent ceux qui traitent le plus mal des questions trans. En valeur absolue, nous trouvons 6 tribunes, 3 chroniques et 2 éditos dans Le Figaro, 3 tribunes dans Marianne, 2 tribunes et 2 chroniques dans L’Express, 2 tribunes, 1 chronique et 1 édito dans Le Point. 13 tribunes sur 23 proviennent donc de 4 médias, et 6 tribunes sur 23, soit un quart des tribunes viennent du Figaro

Si l’on se rapporte au pourcentage de tribunes comparé aux autres formats dans chaque média, on retrouve loin en tête Marianne, avec 25% des contenus qui mentionnent les transidentités qui sont des tribunes, suivi de La Croix avec près de 18,8%, L’Express avec 10%, Le Figaro avec 8,6%%, et enfin le JDD et Le Point à égalité avec 8,3% de tribunes. Une exception figure toutefois dans cette liste : Libération, dont 7,3% des publications abordant les questions trans sont des tribunes. Celles-ci font exception de part leur contenu, puisqu’elles sont à 100% de « bonne qualité ».

Collage de titres de tribunes de plusieurs médias.

A l’inverse, la totalité des tribunes publiées dans Le Figaro sont de « mauvaise qualité ». Sur l’ensemble des éditoriaux, chroniques et tribunes, 3 sont signées Eugénie Bastié, le reste étant signé par des hommes, hormis une d’Elsa Margueritat. Parmi les chroniqueurs masculins, on retrouve par ailleurs Eric Zemmour, qui s’est fendu, en octobre 2022, d’une tribune sur « l’école prise en tenaille » entre « wokisme et islamisme ».

Là où la dépêche AFP semble être la caution qualitative de certains médias, la tribune se révèle donc à l’inverse être un prétexte à transphobie et fausses informations, non sourcées et non contextualisées. 

Seules huit tribunes du panel étudié ne sont pas ouvertement « anti-trans ». Parmi elles, trois sont anglées directement sur les questions trans. Par ailleurs, trois tribunes seulement ont été écrites par des personnes trans. Dans ce format, les personnes concernées sont donc très largement invisibilisées, tandis que leurs attaquants sont surreprésentés, avec des discours parfois très violents et beaucoup d’approximations non vérifiées. 

En notant l’importance des dépêches AFP et des tribunes dans les formats d’articles abordant les questions trans, l’AJL fait le constat d’une forme d’intérêt des médias pour le sujet, doublé d’une forme de paresse intellectuelle. En effet, bien qu’ils se différencient par la qualité de leur contenu, ces deux formats ont en commun le peu de travail journalistique qu’ils nécessitent. L’un est une simple reprise de contenu, parfois complété, parfois publié tel quel ; tandis que l’autre n’implique ni reportage, ni enquête, ni contextualisation, ni contradictoire, ni vérification d’information – alors qu’il le devrait – et n’engage bien souvent qu’un effort de relecture, d’édition et de publication de la part des journalistes.